La Croix
En dépit de la loi, le travail forcé reste une réalité au Pakistan.
Dans ce pays, il y aurait près de 4,5 millions d’esclaves, rien que dans les usines de fabrication de briques.
À l’occasion de la Journée internationale pour l’abolition de l’esclavage, l’ONU met l’accent sur les 21 millions de travailleurs asservis.
À seulement deux heures de Karachi, la capitale économique du Pakistan, le bureau de l’ONG Green Rural Development de Hyderabad accueille des victimes d’une autre époque. Des paysans, hommes, femmes et enfants, asservis par des propriétaires terriens peu scrupuleux. Aujourd’hui, Khimo, un hindou qui paraît dix ans de plus que sa trentaine d’années, vient y régler des détails administratifs pour se « libérer » de son propriétaire. Le jeune homme grêle, qui flotte dans sashalwar kameez, la tunique traditionnelle du Pakistan, est enchaîné par les dettes qu’il a contractées auprès de son patron.
« Normalement, ma famille et moi devions récupérer 25 % des récoltes annuelles, mais nous n’en avons jamais vu la couleur, explique-t-il. En plus, nous devions être nourris gratuitement mais le propriétaire achète notre nourriture à crédit et c’est nous qui devons payer les intérêts à la fin de chaque année. » Khimo travaille près de dix heures par jour, parfois la nuit, mais les dettes s’accumulent. « Même quand je suis malade, que je n’ai pas assez de nourriture ou d’eau, je n’ai pas d’autre choix que d’aller travailler. »
De l’emprunt d’argent à son propriétaire à l’enchaînement à vie
L’asservissement commence lorsqu’un travailleur emprunte de l’argent à son propriétaire pour couvrir des dépenses quotidiennes ou exceptionnelles. Avec les intérêts souvent excessifs qu’applique le propriétaire, la dette devient telle que le paysan se retrouve souvent enchaîné à son employeur à vie. « Cette forme d’esclavage existe dans tout le pays, particulièrement dans les secteurs de l’agriculture et de la fabrication de briques, explique Zohra Yusuf, présidente de la Commission des droits de l’homme du Pakistan. Parfois, les enfants sont donnés comme esclaves pour rembourser la dette de leurs parents. »
Alors que l’on célèbre aujourd’hui la Journée internationale pour l’abolition de l’esclavage, selon la Banque asiatique de développement, 2 millions de travailleurs pakistanais seraient victimes de travail forcé, mais ces chiffres semblent en dessous de la réalité. L’ONG Bonded Labour Liberation Front Pakistan avance le chiffre de 4,5 millions d’esclaves, rien que dans les usines de fabrication de briques. L’Organisation internationale du travail (OIT) estime à 21 millions le nombre de travailleurs asservis dans le monde.
« Mon fils de 9 ans était enchaîné »
Champa, une paysanne de 40 ans également présente au bureau ce jour-là, a réussi à échapper à un propriétaire cruel grâce au soutien de l’ONG Green Rural Development. « Nos conditions de travail et de vie se sont dégradées au fur et à mesure des années, explique Champa, élégamment recouverte d’un voile perlé. Nous nous levions aux aurores et travaillions près de douze heures par jour. Même quand il n’y avait rien à faire, notre patron ne nous laissait jamais nous asseoir. »
Brandissant une photo de son fils, la femme raconte les tortures que le propriétaire faisait subir à son jeune garçon de neuf ans. « Mon fils était enchaîné et devait dormir avec les chèvres, sans nourriture. » La femme a contacté Veero Kholi, ancienne esclave devenue vice-présidente de l’ONG, qui a pu lui fournir une lettre d’un tribunal intimant au propriétaire de laisser partir la famille. « Mon fils est mort trois semaines après notre libération, à la suite des sévices qu’il a subis. Aujourd’hui, le propriétaire est toujours en liberté et continue à faire exploiter ses champs », se désole-t-elle.
Contre l’esclavage, une loi de façade
Au Pakistan, il existe pourtant une loi de 1992 censée abolir le système du travail en servitude. « Cette loi devait être encadrée par des législatures provinciales mais ces dernières n’ont jamais été mises en place. Et les comités de vigilance qui devaient voir le jour n’ont pas non plus été établis », explique Zohra Yusuf. « C’est une loi de façade, renchérit Imran Naseem, responsable de projet à l’ONG Bonded Labour Liberation Front Pakistan. Les travailleurs sont des gens pauvres, illettrés et sans ressources. Comment peuvent-ils accéder à la justice ? Mais quand nous intervenons aujourd’hui, les politiciens commencent à nous écouter. »
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L’esclavage en chiffres
Les formes contemporaines d’esclavage – trafic de personnes, prostitution forcée, enfants-soldats, travail forcé et utilisation des enfants dans le commerce international des stupéfiants – fleurissent en grande partie à cause de la vulnérabilité exacerbée par la pauvreté, la discrimination et l’exclusion sociale.
Il y aurait plus de 250 000 enfants exploités aujourd’hui comme enfants-soldats dans une trentaine de zones de conflit dans le monde. Un grand nombre des filles enlevées et transformées en enfants-soldats deviennent également des esclaves sexuelles.
L’Organisation internationale pour les migrations estime que, chaque année, 800 000 femmes, filles, hommes et garçons font l’objet d’une traite transfrontalière et sont réduits en esclavage.
5,7 millions d’enfants sont soumis à un travail forcé et asservi, ce qu’on appelle aussi servitude pour dettes, et 1,2 million d’enfants sont victimes de la traite qui s’accompagne de l’exploitation commerciale sexuelle d’enfants dont 1 million, essentiellement des filles, sont chaque année forcés de se prostituer. Ils sont vendus comme prostitués ou à des fins de pornographie infantile tant dans les pays développés que dans les pays en développement.MORGANE PELLENNEC (à Karachi)
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